Dans la simplicité accueillante de son atelier parisien, je retrouve cette toile qui a marqué mon imagination : Mobile fléau de songes étranges. Rejaillissent d'emblée ces mots essentiels d'Aimé Césaire1, poète qui inspire depuis toujours l'artiste Michèle Charles-Nicolas :

j'habite un long silence

j'habite une soif irrémédiable

j'habite un voyage de mille ans

Tâches, couleurs, accidents, transparences, harmonies, tout contribue à mettre le spectateur dans cet état second propre à la rêverie. Dans la quête obstinée d'un langage poétique, le geste est voué à « spiritualiser la matière », l'artiste avoue laisser le temps au devenir du tableau. Ainsi dans Petra, nom d'un fameux site Jordanien, le temple nous est-il restitué sans anecdote, au plus près du ressenti, dans « les impressions fugitives et la force des sensations ». Il y a une grande pureté dans la précision du trait chez Michèle Charles-Nicolas, un élan vital né d'un sentiment impérieux ou d'une épreuve mais aussi bien de l'émotion d'un opéra, de l'illumination d'une lecture. L'effet de suspension et de dynamique des agglomérats polychromes frappe dans cette oeuvre. La toile est alors ciel mouvementé où la pulsion invente ou libère des nuées de songes colorés qui naissent, se détruisent, meurent, renaissent, se heurtent ou fusionnent. Les dernières grandes toiles constituent l'aboutissement d'un long et patient travail d'épure. Il y a à peine dix ans, les toiles étaient habitées par une sorte d'expressionnisme à vif. Aujourd'hui, même si parfois la colère est présente, la quête de l'informulé et de la spiritualité sont les véritables dominantes. L'exigence de l'art théâtral et la lumière des mots guident sans relâche l'artiste. L'étonnant tableau nommé Cantatrice vibre staccato et vire molto vivace, alors que nous restons longtemps absorbé par l'immensité visionnaire de l'imposant Bleus des terres importées par le Déluge. Nous le regardons dans la lumière du jour, le tableau a été manifestement peint dans « tous les sens », en témoignent coulures insensées et subtiles. Sur le seuil, l'artiste confie en guise d'au revoir: « Je vais toujours vers l'Ailleurs ! » Ainsi sortons nous remué de l'atelier, la tête ailleurs. Tout dans le travail de Michèle Charles-Nicolas est chant profond et plénitude du secret.

Antoine Campo - Auteur, directeur artistique (www.antoinecampo.com)

1 Moi, Laminaire (Le Seuil)

... Sa peinture est a priori abstraite, pourtant le processus de création débute par une image initiale concrète qui l'a émue et qui voyagera dans les couches successives de matière, projetée dans les profondeurs, ou propulsée en avant.

Selon l'humeur, la toile va acquérir un humour explicite ou une violence impénétrable. La Forme qu'elle conservera dépendra de la force du télescopage entre l'accident et son intuition : Michèle CHARLES-NICOLAS cherche des sensations dont l'équilibre (instable), loin de l'immuable, donnent au tableau la puissance du jeu avec le support de la toile. A l'évidence, il est véritablement important de se laisser guider, surprendre par la cohérence de cette peinture : on imagine, on croit reconnaître une forme qui nous amène à une autre, on avance le long d'une ligne, on s'oublie dans les transparences mais on est brusquement saisi par la vitalité d'une couleur.

Il s'agit bien, pour elle, de « rendre vivante la peinture » comme le voulait Pierre Bonnard.

Charles Bonheur